Quand l’e-commerce nous pousse à des comportements étonnants
76,08% des Belges commandent en ligne, selon le SPF Economie. Soit plus qu’en 2020 (72,72%) et davantage que la moyenne européenne (71,76%). Avec un pic durant le Black Friday et les fêtes de fin d'année. Essentiellement pour commandes des vêtements. Vêtements qui, une fois reçus, déplairont peut-être… mais ne seront sans doute pas renvoyés à l’expéditeur. C’est que l’e-commerce provoque de drôles de comportements, sur le cerveau des acquéreurs digitaux. Depuis la commande jusqu’à la réception, Le Vif se plonge dans la psychologie de l’e-acheteur.
Le commerce en ligne transforme la tentation de colis express en… déception. Entre interfaces truquées, hyperchoix et dopamine en carton, l’achat facile déballe trop souvent une amère désillusion.
Scroller, cliquer, payer, se faire livrer. En deux ou trois pressions d’index, le colis arrive, parfois en 24 heures, dans son point relais favori. Une expérience d’achat fluide et (presque trop) confortable. Mais pas toujours satisfaisante. Selon une étude SimplicityDX, entreprise spécialisée dans le commerce de détail, 48% des consommateurs ont déjà effectué au moins un achat impulsif en ligne et… 56% d’entre eux le regrettent. Un autre sondage, de la plateforme WalletHub, estime que 63% des Américains se sont déjà mordus les doigts après une dépense réalisée sur les réseaux sociaux. Jusqu’à 74% avouent même avoir acheté quelque chose dont ils n’avaient pas besoin.
Scroller, cliquer, payer, se faire livrer… et, donc, regretter. «Le plaisir de la gratification instantanée est inévitablement suivi d’anxiété, de culpabilité, voire de honte, décrit un rapport de l’éditeur de recherche Frontiers. Contrairement aux méthodes d’achat traditionnelles, des dispositifs comme le paiement en un clic et le paiement différé (NDLR: Achetez maintenant, payez plus tard) suppriment le temps de réflexion et dissocient le paiement de ses conséquences.»
«Les dispositifs comme le paiement en un clic et le paiement différé dissocient le paiement de ses conséquences.»
Il faut dire que pour convaincre l’acheteur potentiel de passer à l’acte, les sites Web savent se montrer inventifs. En insistant, par exemple, sur le degré d’urgence pour pouvoir profiter des meilleures conditions (offre limitée dans le temps, stock bientôt épuisé, nombre de consommateurs sur le coup en direct, etc.). «Ces dispositifs induisent, chez le consommateur, une peur de manquer l’opportunité, décrit Ingrid Poncin, professeure de marketing à l’UCLouvain. Cette crainte, fabriquée de toutes pièces, pousse à réaliser des achats peu réfléchis, qui, in fine, peuvent être regrettés.»
Les promotions temporaires, si elles sont véridiques, n’ont rien d’illégal. Pour les marques, il est aisé de répéter systématiquement ces actions, au jour le jour. «Dès lors, le caractère légal de la démarche est difficilement vérifiable. D’autant plus que les promotions sont plus libres en ligne que dans les magasins physiques, où les périodes de soldes sont davantage encadrées.»
Le sentiment d’urgence d’achat est monnaie courante sur les dark pattern, à savoir les interfaces truquées. S’il existe une loi européenne pour les contrer (qui fait partie du Digital Services Act), de nombreux sites y dérogent, s’exposant ainsi à des amendes, visiblement pas encore suffisamment dissuasives. «C’est la spécialité de plateformes comme Shein, Temu, AliExpress, et même Booking, qui ont encaissé plusieurs remontrances», remarque Laëtitia Lamari, experte en e-commerce et fondatrice de Butterfly Agency.
Le consommateur en ligne se retrouve donc de plus en plus exposé à ces pratiques questionnables. «Les marques s’appliquent également à gratifier le consommateur après un achat compulsif», souligne l’experte. De façon à le conforter («Bravo pour votre achat») et, dans la foulée, à lui proposer d’autres produits similaires.
«Sur un site, l’espace-temps est infini à l’inverse d’une “après-midi shopping” en magasin.»
Quitte à provoquer une addiction croissante, appelée l’oniomanie. Cette fièvre acheteuse s’épanouit parfaitement dans l’instantanéité de l’e-commerce. «Sur un site, l’espace est infini, le temps n’est pas chronométré, à l’inverse d’une “après-midi shopping” en magasin physique, compare Laëtitia Lamari. La disponibilité est constante et la saisonnalité n’existe pas. On peut acheter des maillots de bain en promo en décembre.»
Paradoxe de l’hyperchoix
Cette disponibilité extrême porte un nom: le paradoxe de l’hyperchoix. Plus le choix est large, plus il s’avère difficile de prendre la «bonne» décision. «Online, le consommateur est très volatile, souligne Ingrid Poncin. Il est à un clic de tous les concurrents et ne doit pas se déplacer physiquement pour envisager un autre achat. Au moindre élément de doute (qualité, sécurité, prix), il peut changer d’avis.» La comparaison des prix y est également beaucoup plus simple qu’en magasin physique. Le consommateur doute plus souvent en ligne car, «dans son processus d’achat, il a accès à beaucoup plus d’informations, plus rapidement».
😕😨😠😮😵💫
Ce paradoxe de l’hyperchoix «contribue à alimenter la déception, abonde Laëtitia Lamari. Même lorsque le produit est bon, la satisfaction est souvent plus faible.» «Il est très difficile d’être certain de son choix face à un surplus de choix, résume Philippine Loupiac, experte en comportement des consommateurs et enseignante-chercheuse à TBS Education. Cet aspect est propre à Internet, alors que les options en magasin physique sont davantage limitées.»
Manque de gratification immédiate
L’achat en ligne peut également décevoir par un manque de gratification immédiate. Le pic de dopamine qui suit l’acte d’achat s’estompe considérablement jusqu’à la réception du produit. «Mais on peut aussi le voir différemment, note Ingrid Poncin. L’achat en ligne procure deux pics de dopamine: le premier lors de l’achat en ligne, le second lors de la réception du colis.»
Le pic de dopamine qui suit l’acte d’achat s’estompe considérablement jusqu’à la réception du produit.
Pour Laëtitia Lamari, le plaisir «se dilue effectivement entre le moment de la commande et la réception.» L’acte d’achat, lorsqu’il est compulsif, provoque un soulagement instantané. Mais durant la période postachat, le consommateur est exposé à une multitude d’autres propositions. Une sollicitation extrême qui conduit parfois à oublier son acquisition principale. Finalement, la réception du colis, devenue une simple démarche de récupération, s’avère décevante et moins émotionnelle. «Le consommateur entre alors dans une phase de regret, qui n’est cependant pas ancrée dans le temps, précise Laëtitia Lamari. Elle a tendance à être aussi éphémère et compulsive que l’achat.» Mais cette piégeuse frustration peut induire une nouvelle volonté d’achat, d’un produit similaire, qui fait alors entrer le consommateur «dans une spirale infernale», prévient la spécialiste.
Pour adoucir la chute émotionnelle, les plateformes en ligne s’appliquent à réduire au maximum les délais de livraison. «Le regret se marque alors plutôt dans le fait d’avoir acheté quelque chose dont on aurait pu se passer», note Isabelle Schuiling, professeur de marketing digital à l’UCLouvain.
Image en ligne vs réalité
A l’image d’une pub clinquante pour un hamburger de fast-food et son résultat, souvent plus terne une fois livré sur le plateau-repas, les achats en ligne provoquent cette même frustration entre la présentation du produit sur le Web et son apparence réelle. «Le phénomène est amplifié par les plateformes comme Shein et Temu, où l’image ne correspond parfois pas du tout à la réalité, déplore Ingrid Poncin. Ces plateformes chinoises proposent un nombre important de produits abordables mais également peu qualitatifs.»
😟😢😥😭😓
Une fois le produit reçu, l’aspect fallacieux est brutal. Et même démultiplié par la dimension sensorielle (odeur, toucher, voire goût), difficilement évaluable en amont. Les plateformes chinoises «sont reines dans les descriptions de produits erronées, appuie Laëtitia Lamari. Avec l’IA, elles rendent un objet plus grand, avec des couleurs plus vives, etc.»
S’il est fréquent que l’image soit retouchée, «le produit peut aussi ne pas être comme le consommateur l’avait imaginé chez lui ou sur lui», ajoute Philippine Loupiac. Par exemple, un pantalon qui tombe de telle façon sur un mannequin n’aura pas spécialement le même effet sur quelqu’un d’autre. «Le fait d’attendre l’article participe aussi à son idéalisation. S’il est juste “normal”, la déception n’en sera que plus grande», relève l’enseignante-chercheuse.
Retour d’article: le dilemme des marques
Pourtant, 73% des acheteurs ne renvoient jamais leurs achats, selon une étude de Becom, la fédération belge du commerce électronique. «A l’achat, tout est fait pour réduire l’effort que le consommateur doit fournir, remarque Ingrid Poncin. Les frais de port sont souvent réduits ou gratuits. Alors que renvoyer un produit nécessite souvent un effort à charge du consommateur.» Ainsi, selon la professeure de l’UCLouvain, «certaines marques rendent le renvoi du produit tellement complexe que le jeu n’en vaut la chandelle. Les politiques de retour se veulent volontairement décourageantes.»
😶😡🤔😬🤬
Car les retours sont très coûteux pour les plateformes. S’ils sont parfois gratuits pour le consommateur, ils représentent un réel poids pour l’entreprise, qui doit vérifier le produit retourné, juger s’il est revendable, et, si oui, le reconditionner. «Ces étapes nécessitent une main-d’œuvre humaine conséquente, au point que certaines sociétés, comme Shein, préfèrent faire une croix sur le reconditionnement si l’article n’est pas retourné comme neuf. Les retours sont alors souvent jetés. Une catastrophe environnementale», alerte Isabelle Schuiling.
Pour éviter les frais ou les pertes, le vendeur n’aurait donc pas intérêt à embellir le produit plus que de raison. Dans cette optique, de plus en plus de sites Internet fournissent une description détaillée (modèle, taille, poids, etc.). Si, malgré tout, le consommateur retourne l’article, la marque demande alors un justificatif complet. «Elles ont besoin d’amasser un maximum d’informations afin de réduire autant que possible le taux de retour», insiste Isabelle Schuiling, qui pointe «un vrai dilemme pour les marques: pousser à l’achat d’impulsion, mais minimiser les retours.»
Une revente plutôt qu’un retour
Et si certains acteurs comme Amazon ou Zalando font du retour/remboursement facile leur marque de fabrique, le consommateur n’a parfois simplement pas l’envie de réaliser ce petit effort supplémentaire: réemballer le produit et retourner au point relais suffisent à rebuter. Aussi, désormais, «les gens privilégient une revente de l’article sur des plateformes de seconde main (eBay, Vinted), afin de réduire leur perte. La revente prend clairement le dessus sur le retour», assure Laëtitia Lamari.
🫨🙄☹️😩😣
D’autant plus que «de nombreuses enseignes ne sont pas encore parfaitement intégrées dans l’omnicanalité», concept qui permet d’acheter un produit sur Internet et de le rendre en magasin physique, «ce qui limite fortement l’effort retour», constate Philippine Loupiac.
Effet de dotation
L’effet de dotation (ou de propriété) ajoute un frein supplémentaire: ce concept stipule que le consommateur attribue automatiquement plus de valeur à quelque chose qu’il possède.
Ce phénomène comportemental est particulièrement d’application pour les love brands, ces marques qui établissent une relation affective forte avec leurs consommateurs sur la base de valeur unique et d’éditions très limitées. Au vu de sa rareté «fabriquée», «l’objet acquiert automatiquement une valeur, qu’il soit apprécié ou non par l’acheteur, analyse Laëtitia Lamari. Le taux de retour de ces marques est donc très faible, au point que leurs emballages soient même revendus.»
A l’inverse, l’article, une fois reçu, peut aussi perdre de la valeur. «Ce qu’on ne possède pas peut être idéalisé. Une fois dans nos mains, un effet relativisant opère», distingue Philippine Loupiac.
Sentiment de culpabilité
Pour ne pas risquer de se sentir «coupables» d’un mauvais achat, une catégorie grandissante de personnes achètent en ligne, mais uniquement auprès d’enseignes qui ont pignon sur rue. «Les conditions de retour sont souvent jugées plus transparentes et plus faciles», estime Ingrid Poncin.
A force de livrer des tentations à la chaîne, l’e-commerce expédie donc aussi son lot de frustrations. Qu’aucun service après-vente ne peut vraiment rattraper.
Plus de sept e-consommateurs sur dix abandonnent leur panier en cours d’achat. Un défi de taille pour les marques, prêtes à tout, jusqu’à l’intrusion.
Entre deux publications Instagram, elle apparaît soudainement. La table basse idéale. Repérée trois mois plus tôt dans le salon de la voisine. Il ne faudrait surtout pas la laisser passer. Trois clics et, hop, «ajouter au panier». Mais au moment de payer, un élan de lucidité: «474 euros pour quatre planches de bois, n’est-ce pas un peu exagéré?» L’achat attendra. La prochaine paie, les étrennes ou un gain miraculeux au lotto. Ou, comme sept paniers sur dix, il finira oublié dans les tréfonds d’Internet.
En 2025, le pourcentage de paniers abandonnés en ligne atteignait en effet les 70,22%, selon l’institut Baymard, qui a compilé les résultats de plus de 50 études sur le sujet. Un chiffre qui ne surprend pas Catherine Viot. La professeure à l’IAE Bordeaux (école universitaire de management) souligne d’ailleurs qu’il s’agit d’une moyenne. «Cette proportion peut monter beaucoup plus haut pour certaines catégories de produits, comme le luxe (le secteur avec le pire taux d’abandon) ou la décoration», précise la chercheuse à l’Irgo, l’Institut de recherche en gestion des organisations. Ce pourcentage varie aussi selon l’âge (les jeunes seraient les plus concernés) et la source du trafic. Les internautes recrutés grâce à des publications sponsorisées sur les réseaux sociaux seraient ainsi plus réticents à l’achat que ceux qui ont délibérément consulté un site.
Derrière ce haut taux d’abandon se cache, en outre, une nuance. Si ce pourcentage est si élevé, c’est surtout parce que le nombre de shoppers en ligne est très grand. «Beaucoup plus de clients “entrent” dans un magasin virtuel que dans une enseigne physique, rappelle Monica Grosso, professeure de marketing à l’EM Lyon Business School. Le dénominateur de base est donc un peu gonflé, impliquant un taux de conversion réduit.»
«La démarche d’ajouter un article au panier peut entraîner un “shoot” de dopamine.»
Mais globalement, le consommateur en ligne apparaît bien plus timoré que l’image d’acheteur compulsif qui lui est parfois attribuée. Un paradoxe qui tient à la myriade de freins que comporte l’expérience virtuelle de shopping, absents de son homologue «physique».
Le succès des «paniers plaisirs»
«Derrière un écran, le consommateur aura un comportement plus passif, observe Deborah Bete, experte en marketing digital et e-commerce. Contrairement au client qui se déplace en boutique, qui aura une intention cognitive d’achat beaucoup plus prégnante.» L’internaute sera plus facilement distrait. Par appel imprévu, des pleurs d’enfant à gérer, un e-mail urgent à traiter... D’autant plus à l’heure du multitasking et des notifications intempestives. «Ces sources de distraction sont beaucoup plus fréquentes qu’on imagine, insiste Deborah Bete. Alors qu’en boutique, le client, plus concentré dans son processus d’achat, ne consultera pas ses e-mails et aura fait garder son enfant.»
🛍️🛒🏬🧾💳
En outre, surfer sur un site de vente en ligne relève parfois davantage du divertissement que de la réelle intention d’achat. A l’image du window shopper, qui fait du lèche-vitrines dans les boutiques pour passer le temps, l’internaute consulte parfois des plateformes commerciales sans être prêt à acheter. «Il se fait même parfois des “paniers plaisirs” en sélectionnant un tas de produits à son goût, tout en sachant qu’il n’en achètera aucun, note Deborah Bete. Car rien que la démarche d’ajouter un article au panier peut entraîner un “shoot” de dopamine et procurer une sensation de satisfaction.»
L’e-consommateur peut également rester coincé à la «phase d’information», qui ne débouche pas encore sur l’achat, souligne Monica Grossi. «Il sauvegarde le produit dans son panier simplement pour se rappeler qu’il l’intéresse, mais il n’en est pas encore au stade psychologique de la concrétisation.»
Un œil sur le prix
C’est souvent au cours de cette phase d’information que le panier est abandonné. Le client potentiel s’offrira un délai de réflexion, durant lequel, par exemple, il se renseignera sur la réputation du vendeur. Moins de trois étoiles sur cinq, et c’est l’assurance d’un achat avorté. Cette mise en attente est également propice à la comparaison: le produit est-il moins cher ailleurs? A des conditions plus avantageuses? «Or, en ligne, la concurrence est à un clic, souligne Catherine Viot. Il suffit d’ouvrir plusieurs onglets pour repérer le prix le plus avantageux. Le processus de comparaison est peu coûteux en investissement.»
🪙👛💶💸🤑
Une concurrence d’autant plus rude depuis l’émergence du «tracking». «Si l’internaute a autorisé certains cookies, ses activités virtuelles sont constamment suivies», rappelle Monica Grossi. Les marques concurrentes ont donc tout le loisir de proposer des produits similaires à ceux qui semblent lui plaire, par des publications sponsorisées, pour «voler le client et le ramener sur son propre site».
«Plus le vendeur réclame d’informations, moins l’expérience client sera optimisée.»
Ces outils de comparaison encouragent in fine le consommateur à poser des choix rationnels. «On croit parfois que l’e-commerce a encouragé les achats impulsifs; en réalité, l’abondance d’informations en ligne pousse aussi à réfléchir plus attentivement», note Catherine Viot. Le commerce en ligne offre une «réduction de l’asymétrie de l’information» par rapport au commerce physique, où le client peut rarement se renseigner de manière si transparente et instantanée sur les offres concurrentes, la réputation du vendeur ou les conditions de retour, complète la chercheuse à l’Irgo.
A noter que l’e-consommateur garde systématiquement un œil sur le prix: dès qu’il remplit son panier, le montant précis à débourser se met à jour et reste affiché dans un coin du site. «Cela peut rebuter et pousser à abandonner les achats, estime Monica Grosso. Dans un magasin physique, on a rarement une idée si précise de la facture finale. Et à la caisse, il est souvent trop tard pour faire marche arrière.»
Des frais de port rebutants
Enfin, une expérience utilisateur qui laisse à désirer en fin de parcours peut également déboucher sur une transaction abandonnée. «Un flux de paiement peu clair, qui implique beaucoup de clics et d’allers-retours, peut susciter la méfiance et faire fuir, observe Catherine Viot. Surtout pour des sites en manque de notoriété.» Des options de paiement qui ne satisfont pas l’acheteur (carte de crédit uniquement, option ApplePay indisponible) ou l’obligation de créer un profil client exhaustif peuvent refroidir. «Plus le vendeur réclame d’informations, moins l’expérience client sera optimisée», résume Catherine Viot.
🫰💴💱🤝👜
Ultime frein, et non des moindres: des frais de livraison trop élevés. «Ces coûts monétaires, soit pour la livraison à proprement parler, soit liés à des taxes d’exportation pour des produits chinois, peuvent sacrément rebuter», insiste la professeure à l’IAE Bordeaux. Même constat pour des délais de livraison trop longs, qui peuvent pousser le consommateur à aller voir ailleurs (y compris dans un commerce physique). «D’autant que sur cet aspect, les valeurs écologiques peuvent entrer en ligne de compte, soulève Monica Grossi. Si le délai est très long, le client en déduit généralement que le produit vient de trop loin et préfère abandonner son achat.»
Selon l’étude de Baymard, 39% des clients ayant laissé leur panier en plan le justifiait d’ailleurs par des frais trop élevés, alors que 21% d’entre eux évoquaient une livraison trop lente. Pour pallier ces critères de défection, Deborah Bete conseille aux marques d’inclure les frais de port dans le prix du produit. «Ça évitera les mauvaises surprises à la fin, insiste l’experte en marketing digital. Surtout s’il s’agit d’articles à 30 ou 40 euros: ce n’est pas deux ou trois euros supplémentaires dans le prix initial qui changeront la donne.»
Ce syndrome du panier abandonné représente un défi de taille pour les sites de vente en ligne. Comment donner envie au client de clôturer ses achats, sans être trop envahissant? Pour Deborah Bete, chaque vendeur doit développer une stratégie adaptée à son profil. «On ne relance pas une marque premium comme une marque mass-market,car la relation client n’est pas du tout la même, insiste-t-elle. Une marque de luxe, par exemple, ne peut pas se permettre d’envoyer trois courriels de relance, au risque de dégrader son image d’exclusivité. Elle ne doit pas renvoyer l’impression d’avoir besoin du client pour survivre.»
Parcimonie et pertinence
Globalement, la clé réside dans la subtilité et le timing des relances. «Trois e-mails en une seule journée, c’est clairement trop invasif», tranche Deborah Bete. L’idéal est d’espacer ces trois relances sur une semaine, avec un premier message qui intervient «entre 30 minutes et une heure» après l’abandon du panier. «Le client sera alors toujours dans l’intention d’achat, justifie l’experte. Celui qui a été dérangé pendant son surf peut s’y remettre quand il est à nouveau dans de bonnes dispositions, mentales et physiques, pour concrétiser son achat.»
🤑🛍️💳🤨🙄
Pour plus d’efficacité, ces relances peuvent être accompagnées de réductions, comme une remise immédiate sur le produit en question, valable seulement quelques heures. «Cette stratégie peut se révéler payante car elle donne un sentiment d’urgence aux clients», note Monica Grossi. Offrir les frais de port ou proposer un produit en cross-selling (une vente additionnelle) pour atteindre le seuil de gratuité de livraison sont également des techniques efficaces.
«Un flux de paiement peu clair, avec beaucoup de clics et d’aller-retours, peut susciter la méfiance. Surtout pour des sites en manque de notoriété.»
Au-delà des e-mails classiques, les marques investissent depuis peu d’autres canaux de diffusion, comme WhatsApp. «Cette stratégie renforce le côté instantané de la relance, moins présent par courriel», analyse Deborah Bete. Mais sa recevabilité dépend de la culture communicationnelle du public visé. «En Europe, l’utilisation du téléphone et de WhatsApp est davantage réservée aux relations personnelles, et donc la technique peut paraître intrusive, note Monica Grossi. En revanche, en Asie, c’est largement accepté. En Chine, vous pouvez même recevoir une publicité sur WeChat du magasin dans lequel vous venez de vous rendre sans que cela soit considéré comme envahissant.»
Mais dans un contexte globalisé, les marques internationales ont tendance à «répliquer leur stratégie commerciale», observe Monica Grossi, alors que cette dernière devrait correspondre aux coutumes locales et aux réalités communicationnelles de chaque pays.
Sur Internet, le marketing de l’urgence est légion. Une technique efficace, mêlant effet de rareté et aversion à la perte.
«Plus que trois exemplaires disponibles», «Il vous reste 00:07:10 pour bénéficier de cette offre»… Encarts ultravoyants, fenêtres intempestives, textes en lettres capitales... Sur de nombreux sites d’e-commerce, des dark patterns s’appliquent à provoquer une impulsion d’achat. Ces encarts manipulateurs (voire trompeurs) sont tout aues soldes.
⚡💥🤯💣😲
Pour pousser à l’achat, les experts du marketing s’appuient sur deux mécanismes. L’effet de rareté, d’abord. «Les études en psychologie sociale ont démontré depuis bien longtemps l’effet favorable que peut avoir la “disponibilité limitée” sur les attitudes et les comportements des consommateurs, pointe Gordy Pleyers, professeur de marketing à la Louvain School of Management (UCLouvain). Ce qui a une disponibilité limitée tend à paraître plus désirable et d’une valeur supérieure.»
L’effet d’urgence, ensuite. Il joue aussi sur l’impression de rareté, mais cette fois, liée au temps. L’idée de faire croire au consommateur que s’il ne se dépêche pas d’ajouter un article dans son panier virtuel, il risque de se faire griller la politesse par un autre. «“L’aversion à la perte”, la peur de “manquer une occasion” sont des biais puissants et largement démontrés. Cela génère une pression décisionnelle pouvant déclencher des achats immédiats et peu réfléchis», commente l’expert des phénomènes d’influence des consommateurs.
«“L’aversion à la perte”, la peur de “manquer une occasion” sont des biais puissants et largement démontrés qui génèrent une pression décisionnelle.»
Cette rareté peut parfois être fabriquée de toute pièce, mais le consommateur n’a aucun moyen de le vérifier. Selon une étude américaine de 2019, dans 40% des cas analysés, l’allégation était mensongère.
Eduquer au marketing de l’urgence
«Chez les acheteurs compulsifs, l’urgence et la rareté fonctionnent comme de puissants leviers», indique Sandrine Pohl, professeure de psychologie du travail et de la consommation à l’Université libre de Bruxelles. C’est beaucoup moins le cas chez les acheteurs «raisonnés», ceux qui aiment comparer avant de se décider.
🚨⚠️😱🛎️😬
Bien que ces pratiques marketing puissent interroger, elles n’ont rien d’illégal, souligne la professeure de psychologie. Du moins, si elles ne sont pas mensongères, et ce, même si elles peuvent conduire le consommateur à se surendetter. «Parce que la responsabilité ne repose pas sur les épaules des marketeurs, mais sur celles des acheteurs», commente-t-elle.
«Il faut permettre aux consommateurs de comprendre les mécanismes psychologiques sur lesquels s’appuie ce marketing.»
Aux yeux de l’experte, légiférer semble difficile. Elle souligne, en revanche, l’importance de l’éducation. «Permettre aux consommateurs de comprendre les mécanismes psychologiques sur lesquels s’appuie ce marketing, ainsi que l’influence que ceux-ci ont sur eux, serait une première chose», propose-t-elle. «Il est important pour les citoyens d’avoir un regard très critique par rapport à ces techniques commerciales, pouvant déclencher des achats qui ne sont pas forcément judicieux, concernant des produits pouvant ne pas répondre aux attentes ni même à un réel besoin, complète Gordy Pleyers. Sans compter les impacts que peuvent avoir la surconsommation ou les mauvais achats sur le plan environnemental.»
Les étoiles qui s’affichent sur Google, Trustpilot ou les applications de livraison n’influencent pas identiquement tous les secteurs. Temu et Amazon traînent une réputation désastreuse en ligne, sans que cela fasse fuir les Belges. Pour des restaurants ou de petits commerces, quelques mots d’un inconnu peuvent en revanche faire très mal.
Deux sur cinq pour Amazon, 2,1 pour Temu, 2,2 pour Alibaba… A en croire les avis laissés sur Trustpilot, mieux vaudrait fuir les géants de l’e-commerce. Et pourtant, selon une étude de Comeos parue en 2025, cette mauvaise réputation ne freine pas les 54% de e-acheteurs belges ayant commandé au moins une fois au cours des douze derniers mois sur un site de vente chinois. Temu est en pole position, avec 30% des sondés qui y ont acheté un produit. Bien que 83% des consommateurs déclarent savoir que la qualité des produits de ces sites est médiocre.
🌟🤩💯👌👍
Un restaurant coté trois étoiles sur Google serait en revanche boudé des clients. Un hôtel indépendant, un restaurant de quartier ou une chambre d’hôte qui tombent sous la barre des quatre étoiles sur une plateforme de réservation voient rapidement leur taux de remplissage baisser. Sur Booking, un point de différence sur une échelle de un à cinq étoiles peut multiplier par deux ou trois le chiffre d’affaires d’un prestataire. Trois sur cinq pour une application de livraison de repas? Arrêt de mort pour l’enseigne.
«En dessous de quatre étoiles, je ne commande pas, confie Louise, jeune bruxelloise. Pour les achats d’objets en ligne, c’est différent. Je ne m’attends pas à ce qu’un livre me rende malade, ni à faire une indigestion en commandant des décorations de Noël. J’avoue n’avoir jamais regardé les avis pour Temu, Amazon… Tout le monde sait pourquoi il vaut mieux les éviter. Mais parfois, les prix sont tellement attractifs qu’il est dur de résister. Mon exigence n’est pas la même pour un peignoir à cinq euros que pour un dîner à 100 euros.»
Plus d’un Belge sur trois choisit son restaurant grâce aux critiques en ligne. Et 39% des clients sont attentifs aux réponses du restaurateur aux critiques, selon une étude réalisée par la plateforme de caisse et de paiement Lightspeed.
Qui sont ces savants de l’e-commerce?
Si les avis comptent pour beaucoup de commerçants, les consommateurs ne savent pas toujours qui les rédige vraiment. Ingrid Poncin, professeure de marketing digital à l’UCLouvain, a identifié plusieurs catégories de critiques, chacune poursuivant ses propres motivations. «Il existe plusieurs profils de contributeurs, détaille-t-elle. Un premier groupe, altruiste, rassemble les personnes qui écrivent pour permettre à d’autres de bénéficier de leur expérience, positive ou négative. Un deuxième profil correspond à des consommateurs qui cherchent à se venger d’un service jugé insatisfaisant. L’objectif est alors moins d’informer que de sanctionner le prestataire. Un troisième regroupe ceux qui postent pour se donner une importance, obtenir une forme de reconnaissance.» Certains de ces «influenceurs de l’e-marketing» sont suivis par des centaines, voire des milliers de personnes sur Google. De simples utilisateurs, ils deviennent tantôt adoubeurs, tantôt bourreaux des e-commerçants.
🆗🙆👌🏾😎🔥
«Les recherches menées sur des plateformes comme Booking montrent qu’un très petit pourcentage de voyageurs produit une grande partie des avis. Pour ces contributeurs, l’influence sociale a une valeur en soi», ajoute Ingrid Poncin. Les plateformes entretiennent parfois cette dynamique. Elles envoient des rappels systématiques après un achat ou un séjour, proposent des «badges» de contributeurs, ou mettent en avant les profils qui multiplient les contributions. Ces «super-commentateurs» deviennent des repères pour les autres internautes.
En 2024, TripAdvisor a supprimé 2,7 millions de faux avis sur sa plateforme.
Ingrid Poncin, qui a étudié les comportements des consommateurs en ligne, souligne que les avis ont aussi un impact psychologique fondamental sur les utilisateurs: «Historiquement, le principal frein au commerce en ligne provient du manque de confiance. Et d’une défiance importante envers les marques et leurs promesses, sauf lorsqu’une relation forte s’est construite dans le temps. Les avis d’autres consommateurs apportent quelque chose de précieux: la possibilité de faire davantage confiance à des pairs plutôt qu’au discours de la marque. Y compris lorsque l’on sait qu’il existe de fausses critiques.»
😍⭐💖😊👍🏿
Selon les estimations de plusieurs plateformes de vente en ligne, environ 20% des avis peuvent être faux ou sont identifiés comme tels. En 2024, TripAdvisor en a supprimé 2,7 millions sur sa plateforme. L’entreprise estime que 3% de commentaires ont été générés par l’intelligence artificielle.
Le marché de la réputation attire aussi des acteurs spécialisés. Des entreprises vendent des avis à l’unité ou par lot, pour faire grimper la note ou disparaître des critiques négatives au milieu de commentaires élogieux. Des enquêtes britanniques sur les plateformes d’e-commerce estiment qu’au moins 10% des avis de produits peuvent être fictifs sur certains grands sites, avec un impact mesurable sur les décisions d’achat. D’autres analyses parlent de proportions encore plus élevées, jusqu’à un tiers des avis jugés suspects.
En quelques années, les réseaux sociaux ont transformé le déballage d’un colis en une expérience à 360 degrés. Si bien que l’unboxing occupe désormais une place centrale dans les stratégies marketing des marques tous secteurs confondus.
Bonnet de Noël sur la tête, paire de ciseaux à la main, Carla brandit fièrement son colis devant la caméra. De ses ongles parfaitement manucurés, elle pianote sur le paquet pour alimenter le suspense. «Allez les filles, c’est parti»: l’influenceuse déballe enfin son imposant colis vert et rouge, qui se révèle être un calendrier de l’Avent commercialisé par une marque chinoise. Treize minutes durant, elle déficèle minutieusement les 24 mini-présents, en prenant soin d’en détailler le contenu à ses fidèles abonnés.
📦📥✉️🎁🥳
Pour les non-adeptes des réseaux sociaux, la scène peut paraître surréaliste. Pourtant, ces vidéos d’unboxing (NDLR: littéralement, «déballage») inondent la toile depuis les années 2010. Rien que sur Instagram, le hashtag #unboxingvideo est associé à plus d’1,1 million de publications, alors que le plus sobre #unboxing en cumule près de 9,7 millions. Popularisée sur YouTube, la pratique s’apparente à une vraie opération win-win pour les consommateurs comme pour les marques, en remplissant des objectifs distincts.
Côté clients, l’unboxing répond à un besoin d’informations. En achetant en ligne, sans avoir vu ni essayé le produit, il s’expose toujours à un risque, rappelle Catherine Viot, professeure à l’IAE Bordeaux (Ecole universitaire de management): «Le design correspond-il vraiment à ce que j’avais vu sur le site? La couleur me plaît-elle? Est-ce que ça pourrait m’aller?» La vidéo (a priori réalisée sans trucage) de l’influenceur déballant son paquet en temps réel permet de le rassurer sur la qualité de l’objet. «Dans un parcours client exclusivement virtuel, l’unboxing permet de rematérialiser l’expérience d’achat, complète Sandra Rothenberger, professeure de marketing stratégique à l’université libre de Bruxelles (ULB). Cela devient le seul instant physique et tangible du processus.»
Pouvoir émotionnel
Le consommateur s’identifie à l’influenceur au travers de ses émotions, savamment mises en scènes. «Le spectacteur scrute la moindre mimique ou expression sur le visage qui traduit une certaine excitation, et vit ce moment par procuration, ajoute Sandra Rothenberger. Il le ramène à l’enfance, à Noël, à ce moment unique où il déballait un cadeau sans savoir ce qu’il y avait dedans. Cela déclenche un sentiment positif et crée in fine un lien émotionnel entre la marque et le consommateur.»
Conscients du pouvoir des émotions, les unboxeurs jouent énormément sur cet aspect, en amplifiant leur réaction. Bouche bée, regard émoustillé et cris de surprise font 50% du succès de la vidéo. «Ils capitalisent aussi énormément sur l’anticipation, note Sandra Rothenberger. Ils prennent parfois de longues minutes à déballer le paquet, à défaire chaque nœud ou à enlever les papiers, ce qui crée de la tension, de l’attente et de la curiosité.» Une excitation qui se révèle souvent contagieuse et pousse ensuite à l’achat. «L’unboxing combine à la fois authenticité, dopamine et storytelling, qui sont les trois ingrédients essentiels du marketing moderne», résume la professeure à l’ULB.
Trois casquettes en une
Mais les influenceurs n’ont pas été les premiers à capitaliser sur ce « magic-moment» du déballage. «Cette scénarisation est utilisée de longue date par des concessionnaires de voiture, comme Mini, illustre Catherine Viot. Quand le client reçoit sa voiture, elle est cachée sous une couverture, pour créer la surprise. Cela prolonge en quelque sorte l’expérience d’achat, en le célébrant par une dimension presque cérémoniale.»
🤔🎊🫢😮🤯
Le succès de l’unboxing est aujourd’hui tel que les marques ont développé toute une stratégie commerciale autour du concept. Vu la viralité de certaines vidéos, le phénomène rivalise avec les campagnes de publicité classiques en télévision ou des affiches aux abribus. Il permet surtout de toucher un public plus jeune, qui s’identifie davantage aux créateurs de contenu qu’aux médias mainstream.
«Dans un parcours client virtuel, l’unboxing permet de rematérialiser l’expérience d’achat.»
Surtout, l’unboxing représente un coût très limité pour les marques, car c’est l’influenceur (souvent non rémunéré, mais à qui le produit a été offert) qui réalise l’ensemble du travail. «Celui qui unboxe combine trois casquettes, souligne Sandra Rothenberger: consommateur, acteur et ambassadeur de la marque.» Sans oublier que l’unboxeur sert aussi parfois de cobaye, permettant de repérer les potentiels défauts d’un emballage ou d’un produit.
❓💝🎀📦☝️
Expérience sensorielle
D’où l’importance pour les marques de mettre le paquet sur l’emballage. «Dans l’unboxing, l’expérience sensorielle est primordiale, insiste la professeure en marketing stratégique. Ce qui fait toute la différence aujourd’hui, c’est d’insérer des éléments instagrammables, comme une petite carte au message personnalisé, des nœuds colorés, des tissus spéciaux agréables au toucher, parfois même du parfum aspergé sur un papier de soie et que l’influenceur peut décrire dans sa vidéo…» Bref, tout un événement esthétique est créé autour du produit, censé maximiser l’expérience de déballage du client. Signe de l’importance grandissante de l’expérience sensorielle: l’essor du hashtag #unboxingasmr (NDLR: l’ASMR désigne un ensemble de stimuli auditifs, induisant un bien-être instantané, comme les chuchotements par exemple), associé aujourd’hui à plus de 67.000 publications sur Instagram.
Globalement, l’unboxing a redonné son importance au packaging, qui avait été «un peu négligé aux débuts du commerce en ligne, estime Sandra Rothenberger. Il y a encore dix ou quinze ans, l’emballage servait avant tout à protéger le produit, pour qu’il ne soit pas abîmé au cours du transport. Aujourd’hui, il symbolise la valeur du produit qui se trouve à l’intérieur.» Quels qu’en soient d’ailleurs les coûts écologiques, remarque Catherine Viot.
Loin de renvoyer une image green friendly, les marques qui pratiquent l’unboxing doivent en outre éviter de trop en faire. «Si l’événement et le storytelling qui entourent le produit ne sont pas alignés avec la valeur de celui-ci, le client risque d’être fortement déçu», met en garde Sandra Rothenberg. Et l’attente et l’excitation associées à l’unboxing, de retomber comme un soufflé.
Les achats en ligne se font souvent le soir, voire la nuit. Dans le noir, les cerveaux se ramollissent et les sites de vente en ligne en tirent profit.
Une heure et demie du matin, l’appartement est plongé dans la pénombre. Ne persistent que quelques leds d’électroménagers. Et une lumière pâle, au fond du couloir, qui éclaire le visage de Jules, allongé dans son lit. Le jeune homme vient de valider l’acquisition d’un objet auquel il songeait depuis longtemps. Un porte-éponge Bob l’Eponge. Deux euros. Un rendez-vous nocturne régulier, pour le jeune Bruxellois. Il s’autorise un budget mensuel d’une vingtaine d’euros en coupelle de tasse, cendrier ou sac de sport issus de la pop culture dont il raffole. Comme de plus en plus d’internautes, Jules fait ses achats à la nuit tombée. «J’aime faire ça le soir, quand je sens que je suis brainrot (NDLR: une fatigue cérébrale causée par un excès de contenus médiocres et souvent très courts) par Instagram. Je me balade presque exclusivement sur Vinted ou Marketplace, je me sens plus calme, plus posé.»
Que les achats en ligne se fassent généralement le soir est connu du secteur et confirmé par plusieurs études, comme celle de Becom, la fédération belge de l’e-commerce, selon laquelle les soirs de semaine sont le moment préféré des internautes pour boucler une transaction. Plusieurs raisons l’expliquent: la journée de travail est derrière soi, les enfants sont couchés et, bien sûr, les magasins sont fermés. «Ce sont aussi des acquisitions qu’il faut effectuer en couple, par exemple pour le choix d’une assurance ou d’un hôtel pour les vacances», ajoute Damien Jacob, consultant et professeur de stratégie en e-commerce (ULiège et université de Lorraine).
🐦⬛🌚🦉😴🪽
Les besoins artificiels créés par l’e-commerce
La nouveauté, en revanche, c’est le recul progressif de ces heures d’achats. Conséquence directe d’une stratégie recherchée depuis longtemps par le secteur de l’e-commerce. «C’est ce qu’on appelle le cutting time, introduit Greet Dekocker , directrice générale de Becom. Soit l’heure limite à laquelle on peut commander le soir pour être livré le lendemain. Un facteur important pour garantir la confiance du consommateur envers l’entreprise. Ces dernières années, les firmes ont reculé leur cutting time, y compris les week-ends.» Et le report à venir du travail de nuit (de 20 heures à minuit) pour le secteur de l’e-commerce, dans les tablettes de l’Arizona, ne freinera certainement pas le mouvement.
«Connaissant la pression sur les travailleurs de nuit qu’induit une livraison le lendemain, le consommateur se dit prêt à attendre.»
Aucune donnée ne permet encore d’objectiver à quel point les grandes enseignes ont reculé ce cutting time, qui probablement un jour n’existera même plus. «Avec le milliard d’euros qu’il prévoit d’investir en Belgique, Amazon va développer le same day delivery (la livraison le jour de l’achat), bien que ça soit pour le moment une option peu choisie par les clients.» De la sorte, l’enseigne compte bien mettre la pression sur le marché, afin d’inciter les plus petits e-commerçants à externaliser leur logistique vers le réseau du géant. «Mais pour qu’Amazon veuille bien assurer la logistique, il faut un certain volume», commente Damien Jacob.
🥱💤🌖🛌😪
Leen De Cort, directrice de l’Association belge de recherche et d’expertise pour les organisations de consommateurs (AB-REOC) et autrice d’un rapport sur les usages des consommateurs en ligne, assure que la vitesse de livraison constitue un besoin artificiel. «Le “livré demain” crée une attente dans la tête de l’acheteur, bien que le timing ne soit pas toujours respecté. Or, si l’on explique au consommateur le poids écologique mais également la pression sur les travailleurs de nuit qu’induit une livraison au lendemain, il se dit généralement prêt à attendre un peu plus.»
Would you say yes? You say yes? Say yes
Ça aussi, le secteur de l’e-commerce l’a bien compris. Puisqu’après avoir allongé le cutting time, une autre temporalité à compresser fait l’objet de toutes les attentions, explique Leen De Cort. «Le time to yes, soit le temps entre le moment où le consommateur voit le produit et celui où il l’achète, doit être le plus court possible pour l’industrie. Avec des délais de réflexion plus resserrés, on analyse moins ce qu’on achète. Encore plus la nuit. On réfléchit moins.»
🛌🏾🌝🌙🌃😴
Les géants de l’e-commerce travaillent donc activement à rendre leurs plateformes de vente ludiques, «avec des bonus de fidélité ou des compte-à-rebours, et des appels au passage à l’acte, quitte à payer plus tard», note la directrice de l’AB-REOC. La nuit, tous les chats sont gris et une babiole peut vite devenir un incontournable. «Le manque de sommeil affecte profondément la régulation des émotions, entraînant une réactivité émotionnelle accrue, une diminution du contrôle des impulsions et une vulnérabilité accrue au stress», stipule d’ailleurs une étude conjointe des universités d’Arizona et de Louisiane, publiée en mai dernier.
Jules, le client nocturne des plateformes de seconde main, l’illustre bien. «Le soir, c’est souvent le moment où je craque, et que je prends un truc que j’avais liké il y a six mois et sur lequel je repasse souvent en scrollant, typiquement le porte-éponge Bob l’Eponge. Parfois, quand le produit est livré, il m’arrive d’être un peu déçu, même si j’ai réussi à me contrôler. Mais c’est aussi dû au fait que j’entraîne énormément l’algorithme de mes plateformes en likant plein de bidules que je n’achèterai jamais, sauf si je gagne au Lotto.»
Le smartphone a déjà détrôné l’ordinateur comme support favori pour faire des achats en ligne. Mais jusqu’ici, les usages étaient bien séparés: le téléphone pour les petits achats, et le bon vieux PC pour les grosses dépenses. Jusqu’à ce que la Gen Z bouleverse les usages.
Les Belges passent en moyenne trois heures par jour sur leur smartphone, et c’est une estimation basse. Ce temps occupé à pianoter l’est, entre autres, pour acheter: en 2024, 74% des transactions de l’e-commerce ont été effectuées avec smartphone, pour 68% en 2020. L’augmentation est constante et les professionnels du milieu ne prévoient pas de ralentissement. Le baromètre de la fédération belge de l’e-commerce, Becom, indique que le smartphone et l’ordinateur sont désormais au coude à coude comme plateformes utilisées pour le shopping en ligne.
🤙📱🤳😄🔜
D’abord pour une simple raison statistique: «90% des Belges possèdent un smartphone alors que 70% ont un accès direct à un ordinateur», avance Leen De Cort, directrice de l’Association belge de recherche et d’expertise pour les organisations de consommateurs (AB-REOC). Mais si le téléphone s’impose dans l’e-commerce, ce n’est pas par simple question d’usage de l’utilisateur, c’est aussi en raison d’une volonté du commerçant.
Le «tout ou rien» des applications
Ainsi, les vendeurs du Web ont adapté leur site afin de les rendre plus adaptés au smartphone qu’à l’ordinateur. Le consultant Deloitte a d’ailleurs noté, dans une étude citée par le média de l’e-commerce français Ecommercemag, que le taux de conversion sur mobile pour les sites optimisés est 1,5 fois plus élevé que sur PC. L’enjeu n’est pas d’être beau, mais d’être adapté. «C’est d’ailleurs souvent une erreur, dans l’e-commerce, note le consultant et expert du secteur, Damien Jacob. De nombreux sites investissent dans la beauté, plus que dans l’ergonomie. Très concrètement, l’interface d’Amazon est moche. Mais le site est redoutablement complet et efficace.»
L’expert affirme également que les achats à l’aide d’applications sont de moins en moins plébiscités. Car pour qu’une application vende des produits, il faut qu’elle soit complète de A à Z: localisation de l’utilisateur, identification rapide, paiement facilité. Mais aussi que l’utilisateur la sollicite au moins une fois par semaine. Sur ces points, jusqu’ici, l’Europe et son RGPD n’ont pas facilité la tâche aux commerçants. «En Chine, cela fait bien dix ans que tout le monde paie tout grâce à une “super-app” bancaire installée sur smartphone. Et c’est aussi pour faciliter les paiements que les marketplaces (des plateformes de vente réunissant une grande quantité d’enseignes) se développent plus que les sites des commerçants. Elles ont intégré un moyen de paiement.»
Les applications XXL qui fonctionnent le mieux, comme Amazon, Shein ou Temu, par exemple, ont également trouvé le truc pour fidéliser le client. «Cela passe régulièrement par des processus de gamification, alerte Leen De Cort. On pousse le consommateur à acheter pour accumuler un certain nombre de points qui seront convertis en coupons. Pour ces entreprises, il est crucial de garder les clients le plus longtemps sur l’application, qui permet de récolter un grand nombre de données personnelles.» Et donc d’optimiser le marketing.
La Gen Z, public charnière pour l'e-commerce
C’est aussi l’usage que fait l’utilisateur de son smartphone qui est important. «On sait que l’e-commerce fonctionne particulièrement bien en soirée ou la nuit, note Leen De Cort. Aussi parce que, le soir, on n’a pas toujours envie de ressortir son ordinateur après une journée de travail.» C’est un détail, mais un détail important puisque Leen De Cort et son association ont constaté lors d’études sur le comportement du consommateur que celui-ci était prêt à renoncer à l’urgent besoin d’acquérir certains produits s’il était informé des conséquences sociales et environnementales de ces produits. «Or, sur un téléphone, les informations obligatoires relatives au produit s’inscrivent logiquement en plus petit que sur de grands écrans d’ordinateurs, et le consommateur peut potentiellement passer à côté.»
☝️👦🏻📲📡🛍️
Sur Instagram, qui a d’ailleurs contribué au développement du m-commerce (l’e-commerce sur mobile) grâce à ses armées d’influenceurs, la Gen Z n’a pas loupé le coche. Et déjà un écart se creuse avec les millenials qui préfèrent toujours effectuer leurs plus gros achats sur écran d’ordinateur.
En France, l’auditeur KPMG a noté au travers d’une étude que la Gen Z (les 18-24 ans) était particulièrement séduite par des solutions de paiement permettant d’étaler les factures, soit le buy now, pay later (achète maintenant, paie plus tard). Par ailleurs, 64% de cette même Gen Z a concentré ses achats sur des produits de première nécessité, soit six points de plus que l’ensemble des cyberacheteurs. Et 63% a opté pour des produits en promo, soit huit points de plus que le reste de la population. Dans une autre étude menée par Leen De Cort, on apprend notamment que 31% des 18-24 ans se disent sensibles aux achats impulsifs en ligne, contre 28% des 25-34 ans.
Dans 18% des cas, les réfractaires à l’e-commerce le sont parce qu’ils trouvent les méthodes de paiement trop fastidieuses. «On est donc plus sur un défi technique que sur des questions de marketing, conclut Damien Jacob. Aujourd’hui, l’amateurisme n’est plus permis dans l’e-commerce.» D’autant que six services sur dix sont désormais vendus en ligne, des billets de train aux assurances en passant par la livraison de courses. Le temps quotidien passé sur smartphone n’est pas près de diminuer…
Shein, Temu ou AliExpress ne séduisent pas seulement les ménages aux revenus modestes, leur accessibilité et leurs prix dérisoires répondent essentiellement à une quête de reconnaissance et de réussite sociale.
Vingt-trois millions d’utilisateurs actifs, rien qu’en France. Shein s’y est hissé, en 2025, à la cinquième place des plus gros vendeurs de textile, selon le baromètre de l’Institut français de la mode (ISM) –son concurrent Temu se positionne, lui, à la 24e place. Sur le podium figurent Vinted (1er) suivi par Amazon et Kiabi.
Qui sont ces millions d’acheteurs en ligne? Essentiellement des consommateurs issus de la classe moyenne. Selon des chiffres publiés par Le Monde, les moins de 25 ans ne représentent plus que 17% des ventes en volume, contre plus d’un tiers en 2021. Les 35-49 ans sont désormais ceux qui achètent le plus (45% des quantités commandées).
😱🙈😳💶🛒
Pourquoi ce mode de consommation séduit-il autant? La simplicité d’achat, combinée à des prix dérisoires, «donne l’illusion d’accéder à des objets comparables à ceux vendus beaucoup plus cher ailleurs», analyse Alexandra Balikdjian, psychologue à l’ULB. Et cette impression remplit, chez une partie du public, un besoin de reconnaissance et d’appartenance. «Posséder, c’est exister, poursuit-elle. Cette profusion d’articles à bas prix peut renforcer le sentiment d’être quelqu’un.» Dans une société où richesse et possessions sont valorisées, «on finit par considérer la capacité à (sur)consommer comme un signe de réussite, au même titre que le travail, ajoute Orlane Moynat, docteure en sociologie. Ces normes façonnent notre position perçue dans l’ordre social.» Accumuler des objets devient un moyen d’essayer de satisfaire un idéal de soi, d’exprimer une individualité tout en se sentant appartenir à un groupe.
Ce désir de possession n’est pas l’apanage des milieux modestes, souligne Simon Vuille, doctorant en sociologie de la consommation: «Cette accumulation se retrouve dans toute la société, même si elle ne prend pas toujours la même forme. Elle s’inscrit dans une normalisation de la consommation de masse et à une propension à estimer que le bonheur s’achève au travers d’elle.»
«Les achats irrépressibles servent souvent à atténuer un affect négatif, à combler un manque.»
Dans cette quête du bonheur, les imitations jouent un rôle particulier. Loin d’être de simples copies naïves et bon marché, elles servent «à se raconter, commente Alexandra Balikdjian. A dire qu’on a eu la possibilité d’acheter un sac très convoité et à donner l’illusion de ressemblance avec d’autres.» Selon Simon Vuille, l’achat de «dupes» peut même devenir un acte de contestation symbolique, «une forme de subversion destinée à l’industrie du luxe et aux personnes aisées: “Vous achetez ces produits à ce prix-là alors que j’achète la même chose à un prix abordable”.»
🥸🇨🇳📦🏷️🤥
Les besoins essentiels (se loger, se nourrir, se vêtir) sont limités; les désirs, eux, sont infinis. Les satisfaire apporte un apaisement fugace, rapidement remplacé par une nouvelle envie. «On n’atteint jamais le niveau de bonheur auquel on aspire, insiste Orlane Moynat. On est poussé à toujours plus: mieux que ce que l’on possède déjà, mieux que ce que détient le voisin. On avance parce qu’on a davantage qu’avant.»
En ne cherchant plus à réfréner ses envies, en voulant acquérir et posséder, l’acheteur peut être poussé à l’oniomanie (addiction aux achats). «Ces achats irrépressibles servent souvent à atténuer un affect négatif, note la psychologue. Un événement particulier pousse alors à accumuler des objets pour combler un manque.» Mais, comme le précise Alexandra Balikdjian, ces émotions douloureuses réapparaissent aussitôt, «comme si elles n’avaient jamais été apaisées». Créant une spirale négative: «Certains patients ne sortent même plus leurs achats du coffre de la voiture.» Chez certains, le risque d’endettement peut même devenir réel.
Press-shops et librairies se réinventent en points-relais, avec des arrière-boutiques saturées de cartons et des files tendues au comptoir. Submergés pour quelques dizaines de centimes d’euro par colis, les buralistes voient une partie de leur clientèle se tourner vers les lockers, au gré des expériences plus ou moins heureuses des e-consommateurs.
Chez certains buralistes, peu à peu, les magazines et friandises ont laissé la place aux cartons et papier bulle. Les étagères colorées de couvertures de presse et de livres, abondantes de sodas et de snacks, se sont vidées. Le comptoir est devenu un guichet, où une longue file, à toute heure de la journée, attend son tour, QR code en main, pour récupérer un colis
📰🗄️📤🙃📦
«C’est un changement visible du business model des librairies et press-shops. Un tournant dans l’économie de ces professionnels qui, souvent plus par instinct de survie que par choix, se sont tournés vers le service de dépôt des colis. Les buralistes sont à la croisée des chemins. Beaucoup de produits qui généraient du trafic dans leur commerce ont perdu ce rôle, remplacés par les colis. Le reste est relégué à du bonus», explique Ingrid Poncin, professeure de marketing digital à l’UCLouvain.
Au fil de la centaine de colis qui arrivent chaque jour, certains press-shop se sont transformés en dépôts plus qu’en points-relais. Un libraire de Bruxelles, qui a préféré rester anonyme, dit avoir conscience du changement d’allure de son petit commerce. Il se sent submergé et reconnaît que, parfois, il peut être un peu désagréable avec les clients, «à force de répéter les mêmes choses. Parce que dix fois par jour, les clients se plaignent ou sont perdus. D’autres jugent que ça ne va pas assez vite, qu’ils attendent trop sur place. A plusieurs reprises, on a frôlé des situations de bagarres entre des clients. Aujourd’hui, l’offre de dépôts s’est diversifiée autour de mon commerce, donc ça va un peu mieux. On croule un peu moins sous les cartons. Mais je comprends que certains clients ne soient plus revenus chez moi et préfèrent passer par des lockers. Certains jours, c’est la guerre, ici.»
Les lockers à la rescousse
Si certains buralistes se sentent submergés et admettent avec regret que l’ambiance dans leur commerce a changé, affectant de surcroît l’expérience des clients, ceci explique en partie le succès des lockers. Un service parallèle qui crée une concurrence aux particuliers réorientés en dépôts. Ces boîtes aux lettres connectées, bpost en possède 2.500, pour une capacité maximale de 150.000 colis, capacité faisant de l’entreprise publique l’acteur quasi hégémonique du locker en Belgique. Mondial Relay, deuxième opérateur, en possède une centaine. Les autres transporteurs, comme DHL ou DPD, orientent vers des points-relais, des libraires ou magasiniers, ou s’adossent au réseau bpost plutôt que de déployer leurs propres consignes.
📥📦😣✉️😯
Pour Ingrid Poncin, l’avènement des lockers et la diversification des offres sont positives, tant pour le consommateur que les commerces points-relais. «On parle de concurrence, mais les lockers sont plutôt une alternative nécessaire qui suit une forte croissance des livraisons de colis. De nombreux buralistes ont sauté à pieds joints dans le service de colis en s’érigeant en points-relais. Et cela parfois sans comprendre ou correctement évaluer la charge de travail que cela représente. Ils ont été submergés par la demande, pour ne gagner au final que quelques dizaines de centimes par colis. Plusieurs centaines d’euros à la fin du mois.»
Devant une librairie emblématique de Bruxelles, avant même l’apparition des lockers, il n’était pas rare de voir des caisses en carton s’empiler à même le trottoir, cachant presque la devanture du press-shop. «Quand j’ai commencé à me spécialiser dans la réception de colis, je ne m’attendais pas à être submergé comme je l’ai été, raconte le gérant de la librairie située à Woluwe-Saint-Lambert. Parfois, la file débordait jusque dans la rue. Comme j’étais l’un des premiers à offrir ce service de dépôt de colis dans les environs, tout le monde passait par mes services.»
Un choix perso, qui en dit beaucoup
Lockers, points-relais ou livraisons à domicile, chacune de ces méthodes a ses avantages et inconvénients. Le choix est laissé au consommateur, selon ses envies, ses préférences, mais révèle une «psychologie» propre à chaque acheteur.
✅😄📦🏷️📮
«Un client déçu par des points-relais va préférer se faire livrer directement chez lui. Puis, après une mauvaise expérience d’un livreur qui ne sonne pas et dépose le colis dans un point-relais, ce même client va tester les lockers. Ces derniers sont parfois jugés trop complexes dans leur utilisation, sans référent à qui s’adresser directement en cas de problème. C’est l’une des principales critiques que l’on peut adresser à ces boîtes postales numériques. Après une mauvaise expérience, le client va de nouveau s’orienter vers un point-relais plus classique», développe la professeure de marketing digital.
Une sorte de boucle, où seuls les e-consommateurs les plus réguliers ont trouvé leurs habitudes. Les autres gravitent entre divers modes de livraison avant de trouver ce qui leur convient le mieux. Certains consommateurs favorisent les lockers, jugés plus pratiques car flexibles en heure d’ouverture. Mais c’est une idée parfois biaisée. La plupart des lockers sont situés à l’intérieur de centres commerciaux ou de magasins. Ils ne sont pas accessibles 24/24h, mais dépendent des heures d’ouverture des lieux qui ne dépassent pas souvent 20 heures. Alors que d’autres buralistes ou press-shop offrent la possibilité de récupérer ses colis jusqu’à 22 heures.
Le point faible des lockers réside aussi dans la peur des consommateurs de se faire voler. Que ces casiers soient vandalisés, ou que le QR code ne fonctionne pas comme il le devrait. «Au moins, chez moi, le client est accompagné un minimum et peut faire une réclamation rapidement. Il a l’assurance que son colis est en sécurité. Je suis une sorte de paratonnerre et d’interlocuteur en cas de soucis, ce que n’offrent pas les lockers», conclut le buraliste bruxellois.